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Persona
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22 juin 2009

Drapelier.

L’assiette impeccable de Sergann tranche d’avec son regard dur braqué vers l’avant comme par anxiété, il mène sa jument d’une main habile, de ses jambes souples, les épaules un peu lasses aussi. L’onde des foulées de sa monture se propage le long de son corps, sa respiration rauque sous le métal à l’unisson de celle, en travail, de la bête aux flancs écumants. Attachés en croupes, les paquetages sont ficelés à la selle avec une précision exemplaire trahissant la force de l’habitude, mais sous la tente repliée sur elle-même il n’est pas rare que j’entende tinter quelque chose. Je suppose d’abord qu’il s’agit de quelques morceaux de sa vieille armure puis je me souviens qu’il s’en est débarrassé le jour même de notre départ. Au soir, alors qu’il débride la jument et la libère de son fardeau, je l’aide sans lui en demander la permission. Je me rend compte qu’il est plutôt réticent, il devient un peu maladroit et s’empresse d’ôter le paquetage comme pour y cacher quelque chose. Me mordant la lèvre inférieure je me décide à lui demander tout net de quoi il s’agit.

-         Monsieur, qu’avez-vous sous cette tente ?

Il ne prend pas la peine de me regarder, soupire et délasse les ficelles retenant la toile, place sa main à l’intérieur du tissu qui lentement tombe au sol comme un vêtement accrocheur dévoilant au soir une forme indistincte. Le chant est la première chose que je perçois, c’est celui de la côte de maille se dépliant jusque terre en quelques tintements inquiétants, la discrète cacophonie d’un millier d’anneaux argentés luisants sous mes yeux comme un drap étendu à une courte hampe dont les extrémités sont ornées de pointes métalliques. Ebahie, j’observe l’arme la plus monstrueuse qu’il m’ait jamais été donné de pouvoir contempler.

            C’est un drapeau. Un drapeau tout en métal, au manche pas plus long que deux pieds, et au fanion de cote de maille très large, très grand. Alors que Sergann retient l’arme horizontalement brandie face à moi pour que je puisse en admirer l’allure terrifiante, la frange du drapeau, qui était terminée par une rangée de lames en pointe grandes comme ma main, arrivait à hauteur de son genou.

-         On nomme cela un drapel. C’est une arme uniquement utilisée par les rebelles, quiconque arbore ce symbole est mis aux arrêts puis pendu haut et court sur chaine dentelée. Vous comprendrez donc que je ne m’amuse pas à la garder visible lors de nos déplacements, les rares drapeliers ont la vie dure.

-         Que… Pourquoi… Une telle arme ne… ?

Je suis si choquée, si hypnotisée par cette horreur que je ne parviens pas à détacher mon regard du fin dépôt de rouille noire qui semble fixé par endroits entre certaines mailles. Le sergent me fait signe de m’écarter, soulève le drapel et habilement lui fait décrire quelques cercles. Les lames entament une redoutable danse dans les airs, en accord avec les ondulations des maillons.

-         Cette arme nécessite une grande force et une dextérité sans faille. Il s’agit de contrôler parfaitement le mouvement du fanion afin de ne jamais se blesser avec les « lamettes », ces petites choses que vous voyez fixées au bout…

-         Comment pouvez-vous vous servir de… cette chose ?

-         Tirez votre flamberge, pointez-la vers moi sans y apposer trop de résistance, mais attention  à vous…

J’obéis en tremblant de tous mes membres. Il ne m’est arrivé qu’une seule fois d’avoir si peur, mais il est étrange pour moi de constater qu’il s’y mêle une sorte d’excitation que je n’explique pas. En un éclair, le sergent  avance la pointe de la hampe vers mon arme tout en décrivant une légère courbe du poignet, et voici que s’enroule autour de ma lame ondulée une lourdeur étincelante et tranchante, au milliard de dents en mouvement constant. Je lâche précipitamment ma flamberge prisonnière du drapel avant de la voir voler sur le côté lorsque Sergann se met à tirer dessus d’une simple pichenette. Le tintamarre atroce des mailles sur ma lame me fracasse les tympans, mais je ne peux qu’observer, incrédule, ma main désarmée puis le rideau métallique se dressant entre Sergann et moi, lourds replis scintillants qui laissent dépasser le regard durci de mon ravisseur au dessus de la hampe en bois poli.

-         Voilà pour désarmer l’adversaire. Il est aussi possible d’empaler grâce au manche pointu, de briser les os de la même manière mais en utilisant cette fois un revers de la hampe. Bien sûr on combat le plus souvent avec le rideau de mailles en « giflant » l’adversaire avec. S’il n’est pas déjà assommé ou gravement blessé par le poids des mailles, les lamettes finissent le travail…

Sans prendre la peine de déglutir j’imagine sans problème ce qu’il serait advenu de mon bras si je n’avais pas lâché ma flamberge à temps… En s’enroulant autour de la lame, le fanion entraîne la courbe mortelle des lamettes qui se plantent alors dans la chair et la cisaillent comme n’importe quel coup d’épée, terribles mâchoires sans pitié. Je frissonne devant l’expression satisfaite de Sergann qui devine sans peine mon trouble.

-         Le rideau de maille fournit également une bonne protection contre les flèches lointaines ou les coups de lames maladroits qui glissent dessus, reprend-t-il en rangeant l’horrible drapel dans les méandres de tissu de la tente repliée, pour mon plus grand soulagement.

J’ai encore du mal à me remettre de la force titanesque s’abattant sur ma lame et me l’arrachant des mains. J’imagine sans mal la force que cela exige de porter et de maîtriser une arme si imposante et je tremble une nouvelle fois en détachant avec difficulté mon regard des épaules massives et sèches, des bras puissant et du buste musculeux que je devine sous l’armure rigide. Le plus effrayant dans tout cela c’est que cette musculature n’est pas extrêmement développée, elle est juste parfaitement sèche sur un squelette immense… S’il était possible au sergent d’être plus musclé, je n’ose même pas songer aux dégâts qu’il pourrait occasionner en combat. Un physique aussi athlétique allié à une maîtrise totale des armes et un caractère glacial et sanguinaire ne peut qu’être l’œuvre d’un quelconque démon, je ne peux pas croire qu’il soit humain, surtout pas avec un visage si sombre et une expression si ténébreuse, le gouffre de son regard et le tranchant de son sourire.

Il devrait me faire peur.

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Commentaires
G
OoOoO, puissant !<br /> <br /> J'aime cet extrait. Même si je ne connait pas l'arme, j'ai réussis a me faire une idée grâce a ton travail. Bien joué ^^
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