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Persona
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14 juin 2009

Antonin

Plusieurs fois je reli le texte qui m'a été donné par mon professeur, spécialement pour moi et pour nul autre. Quand on regarde les atrocités imprimées, figées sur papier, ca n'a rien d'étonnant à ce que ce soit pour moi.

"Je n'admets pas, je ne pardonnerais jamais à personne...

D'avoir pu être salopé vivant durant toute mon existence

Et cela, uniquement à case du fait que c'est moi qui était Dieu

Véritablement Dieu."

Ou encore :

"moi un homme et non le soi-disant esprit qui n'était que la projection dans les nuées du corps d'un autre homme que moi...

lequel s'intitulait, le Démiurge"

"ma naissance a été une guerre affreuse, une lutte horrible, un péché sans nom..."

"J'ai nagé dans un fleuve de pus qui n'existait pas, et qui fut créé et jeté sur moi..."

"je voudrais un corps pur, et non un pur esprit... car seul les purs esprits chient. ce que le corps chie, c'est la colle des esprits"

j'ai beau aimer ce genre de texte de part leur côté sybillin, celui-ci me glace complêtement, encore aujourd'hui. J'ai beau critiquer ce texte avec une nonchalance feinte, un dédain supérieur, la perte de l'auteur me touche plus que dans nul autre écrit. Après avoir inspecté chaque indice, chaque sonorité, chaque répétition maladroite et précipitée de ce texte, je n'ai aucune peine à comprendre l'égarement profond de l'auteur. Ce qu'il raconte, je l'ai vécu, à ma manière. Pire encore que la mort, c'ets la conscience de celle-ci et de sa souffrance.

J'en ai mal au coeur. Comment peut-on manquer de pudeur au point d'étaler de telles horreurs ?

En étant malheureux.

Malade.

Pas fou. Juste trop conscient du malheur.

Tout cela m'intrigue énormément. Ce "Démiurge", j'apprends alors qu'il s'agissait d'une sorte d'Entité Créatrice dans la culture égyptienne, et que dans d'autre, bien qu'étant toujours le Dieu Fondateur, il serait également une sorte de parasité né du corps de Dieu, ayant ensuite fixé la matière du monde et créé toute chose "vivante" au juste "présente", créant aussi les hommes... et le malheur d'une race irresponsable. C'est peut-être cela qu'il a voulu dire, dénoncer ? Je ne l'affirmerais pas, car sans doute que même lui ne le savais pas vraiment, perdu dans sa souffrance.

Ensuite je me renseigne sur cet auteur qui se "prendrait" pour Dieu. Je ne suis pas vraiment croyante, je ne peux pas affirmer qu'il s'agit d'un blasphème, à vrai dire je pense qu'il n'a peut-être pas tout à fait tord d'écrire cela, au lieu de le dire... Les lettres n'ont pas la même portée que les paroles, c'est une autre dimension dans laquelle tout est possible selon une certaine idée. Cette idée il me faut alors la trouver, et donc mieux connaître le propriétaire de cette main que j'imagine nerveuse et précipitée sur le papier qui saigne.

Première photo. Un homme adulte, je ne discerne pas très bien ses traits. Bien sûr la peau affaiblie, un début de rides.... Mais ce regard, ce regard c'est ca que je cherche. Il semble regarder le monde comme s'il s'agissait d'une merde abominable et étrangère, étrange. Comme s'il s'appliquait à l'analyser froidement.

Ensuite, je tombe sur une vidéo. J'enclenche, curieuse. Il s'agit d'un vieillard cachetique, les cheveux très fins et assez rares ramenés en arrière, proprement, comme pour avouer crânement son âge et non pas le dissumuler sous de longues mèches filasses tirées au gel sur le côté. Ce sont des photos qui s'enchaînent, en noir et blanc, gris. beaucoup de gris. Le vieillard change inlassablement de position, mais toujours plutôt crecroquevillé sur sa chaise, dans une torsion douloureuse. Les changements brusques de photos sont angoissants, peut-être autant que cette voix stridente en arrière fond sonore, par dessous le silence magnétique d'un vieux camescope ou enregistreur vocal bien usé. Cette voix ne tremble pas comme les autres voix, elle tremble parce qu'il pousse dessus comme pour mieux se faire entendre, comme un petit enfant  capricieux engueulerait ses parents. On comprend à peine ce qu'il nous vomit dessus, tout attaché à réflechir intensément, la concentration en lui-même, occupé à s'écouter parler, sans jamais regarder l'objectif, plus penché sur ses mains ou le regard fixé vers le sol ou le côté, nerveusement. Les mots sont rapides mais très espacés, effrayants. Il n'y a même pas de lien, la syntaxe est douteuse, comme si elle s'extirpait du bordel monstrueux de son cortex. Même en me fichant ouvertement de lui par quelques petits rires narquois, je sens comme l'envie d'arrêter cette vidéo, tant les clairs et tranchants sous-titres font froid dans le dos. On y parle de sang, de dieu, d'humain, de sexe. Encore la mort, au final... J'apprends avec stupeur que cette vidéo le montre à 50 ans à peine. Il en parait 70. C'est la marque de l'opium, de l'alcool, du récent internement et du baiser des électrodes... Voici sept ans d'éternité plongés dans une camisole.

Sans perdre l'objectif premier de me perfectionner sur ma diction, je tente de me souvenir au maximum de cette voix et de l'imprimer à mes tympans pour pouvoir l'entendre à chaque fois qu'il me sera nécessaire de voir Antonin apparaître devant moi quand je récite mon texte, de me focaliser sur son intention, sur son message. malgré moi je ressens le besoin de poursuivre mes recherches: je trouve dans les images en ligne un visage toujours plongé dans la monochromie d'un vieux cliché.

Comme un de ces buste en plâtre, Antonin est figé, le regard fide et presque blanc du flash réflechi à ses prunelles. Il porte une casquette du style "gaveroche" d'où dépasse une mèche de cheveux noire. Sa peau est blanche, très blanche, fixe. Tranchant d'avec le fond obscur, son profil gauche à demi-visible montre une maigreur impressionante, une pommette aussi saillante que la mâchoire carrée alors que le creux des dents sous l'épiderme est bien visible. La bouche fine est très étirée, inerte sur le visage. On ne voit pas correctement l'arête du nez mais je sais qu'il est aquilin et fin pour en avoir à peine discerné l'ombre. Les traits d'Antonin sont reptiliens, atrocement reptiliens, et ce malgré son apparente jeunesse. Je ne lui donne pas plus de trente ans sur ce cliché.

Même s'il est évident qu'il s'agit d'un être profondément marqué de solitude et de douleur, un questionnement se lit dans son regard interressé, un peu rêveur, conscient en tout cas. Ma gorge se serre quand je me souviens de sa voix à 50 ans. Cet homme s'est auto-détruit en seulement vingt ans, pourtant sa maladie mentale était déjà bien visible, alors pourquoi personne ne l'a donc aidé ? réalisant avec horreur que cela pourrait arriver à n'importe qui, surtout à moi, je lis pour la énième fois de la journée son poème, car oui c'est un poème, cela ne rime pas mais il y a des vers. Il a été écrit à sa sortie de l'hôpital psychiatrique, juste avant qu'il ne meurt des mauvais traitements subis occasionants un cancer. Le poème ne m'est maintenant plus étrange, je comprends tout, sauf une phrase réellement abyssale concernant la religion, sans doute ne suis-ja pas assez cultivée pour pouvoir l'interpretter, mais peu importe, tout le reste est assez explicite maintenant que j'ai fais des recherches.

Pauvre Antonin. Je l'ai pris pour un fou alors que c'était un savant, j'en ai honte. Il connaissait trop bien les choses et celles-ci l'ont tué. Ne savait-il pas écouter le murmure du vent dans les champs en fête au printemps ou ceux-ci le rendait plus malheureux encore, par une quelconque cruelle comparaison avec le désâstre de son âme ? C'est mon avis. Après cette photo de lui assez jeune, il était déjà trop tard, on le voit sur le second  visage, celui de l'adulte... Dans la vidéo ca n'est qu'un mort que je vois, un mort qui parle et geint en se griffant les avant-bras.

Pauvre Antonin, encore. Il a parcouru le monde et écrit des essais sans égal dans son célèbre recueil "Le théâtre et son double", et pourtant le voilà maintenant mort d'un stupide cancer, mort de sa folie, mort de sa conscience. Ca n'est pas de la tristesse que je ressens à son égard, c'est une colère teintée de pitié. C'était de notre faute à nous les humains qui ne savons même pas aider les plus sages que nous de leur dangereuse science qui peut à tout moment les réduire en miette de son immensité. Nous devrions protéger ceux qui sont capable de comprendre ces puissantes choses plutôt que de les exploiter dans l'industrie de l'édition, par exemple. Comment ne pas devenir fou avec notre comportement ? Et pourquoi est-il retourné en France ?! Il aurait dû aller ailleurs qu'en notre implaquable société, il aurait dû la fuir et s'en aller vers un de ses peuples qu'il connaissait bien, s'aventurer dans le sauvage et non pas dans cette maudite contrée où s'ammassent les hommes comme des ordures dans une déchêterie !

Peut-être que cela veut dire que malgré le dégoût qu'il aurait eu pour les hommes, il ne pouvait pas être misanthrope... Parce que s'il l'avait été il se serait isolé du reste du monde comme il aurait dû le faire afin de ne pas souffrir de sa singularité, de son génie. Mais personne ne devrait être contraint d'être seul ainsi... ca n'est pas à eux de faire un effort, mais à nous.

Alors il est tout de même revenu.  J'aurais aimé le connaitre, car maintenant je tente stupidement de comprendre un être aussi complexe que l'humain avec seulement un texte écrit dans la solitude d'une folie, deux photographies de mauvaise qualité et une vidéo grincante. Je réduit la longueur infinie de sa vie à ces seuls moments, sans pouvoir connaitre les causes de leur naissance. Avec ca il m'est impossible d'avoir juste, mais au moins j'en sais un peu plus long.

"Or, je suis seul.

Ais-je trouvé dix personne qui veulent me suivre ? Je ne le sais même pas,

En tout cas jusqu'à présent aucune n'ai daigné se présenter à moi"

Il aura fallu un travail sur le théâtre pour que je le connaisse un tant soi peu. J'en suis écoeurée. Personne n'a daigné m'en parler !

Il est déjà mort, c'est trop tard. Si seul dans sa singularité... L'auriez vous apprecié ? L'auriez vous recherché s'il était encore en vie ? Je n'aime pas la pitié, elle signifie que quelqu'un souffre, mais pourtant je ne peux pas m'en détacher à son égard. La pitié est cruelle aussi pour celui qui souffre, elle est l'officiellisation de son infériorité face au bonheur, mais que ressentir d'autre pour un tel personnage sinon cela et de l'admiration ? Tu n'aurais pas dû vivre à cette époque. Peut-être que dans celle de ma génération les soins auraient été plus humains, peut-être encore aurais-tu rencontré des gens qui t'auraient sans doute compri, ou qui du moins tout comme moi l'auraient tenté. D'un autre sens, si tu avais vécu à notre époque, tu n'en aurais été que plus malheureux Je suis certaine que nos us et coutumes sont mille fois plus barbares que ceux des gens de ton époque.

En fin de compte, rien n'aura pu empêcher ton déclin, il faudrait uniquement qu'il devienne utile à nous et aux autres générations...

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