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Persona

Persona
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27 décembre 2009

Règlements de comptes.....

Un souffle nous parvient, étranger et blanc d'incertitudes.

Mais il semble que ce soit Paul, dans son grand corps maigre qui pleure de prendre tant de place et dont les membres longs et beaux effilochent les airs lorsqu'il marche, dont les yeux brûlants restent pudiquement baissés ou perdus dans l'ailleurs de ses tristesses, dont la bouche calme demeure pourtant toujours close.

Il a sur lui son paradieu, chapeau à larges bords planté au dessus de l'explosion chatain de ses mèches folles et de sa peau salie de poussière et de sueur. Sa taille dure est enfermée dans son étroit pantalon de cuir rapé, allongé par les talons de bois de ses santiags brunes et défoncées qui lui confèrent cette démarche raide de faucheux filiforme et martial. Avec ses grandes pattes, c'est un bon cavalier, mais son dos long le fait souvent souffrir en selle, Paul est encore trop jeune pour les longues chevauchées, mais quand on a un fils et pas d'argent, on a souvent pas le choix, et faut bien rentrer les bêtes le soir... Son père n'a pas les moyen de lui payer le médecin.

Nous le regardons parler puis lui nous regarde,  jette un coup d'oeil inquiet à son père pour essayer de savoir s'il n'avait pas dit de conneries. Le père reste immobile, les paupières plissées. Il ne l'épaulera pas. Mais Paul se tient toujours droit.

Comme personne ne l'avait vraiment écouté, trop choqués par sa soudaine prise de parole (en dix sept ans je n'ai pas vu ce gamin ouvrir une seule fois la bouche), il est obligé de répeter. Il a un drôle de voix claire mais basse, parle les dents serrées comme pour contenir une douleur. Pour sûr qu'il a été obligé de monter ce matin.

Une fois remis de nos émotions, nous nous entre regardons puis hochons tour à tour gravement la tête en signe d'approbation, certains effleurent pensivement la crosse de leur six coup généralement encore niché dans l'étui. Paul recule dans l'ombre et reste fixe derrière la barrière d'un rayon de soleil qui voile son visage d'une nuée de particules dorées et coule entre les plis de ses vêtements. Seule l'extrémité du bord de son chapeau émerge de cette cascade de lumière.

La voix de la raison ne parle pas souvent, mais sait se faire entendre. Il ne faut pas lui faire la sourde oreille.

Je me lève de ma chaise, dégaine et incite les autres à sortir. Ce jeune Paul a raison. c'est maintenant ou jamais, que ca nous plaise ou non.

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27 décembre 2009

Mots croisés dans la fusillade (pour Axx)

Oui, c'était moi ce joli coeur aux yeux doux qu'aimait Hélène. Aujourd'hui non. Maintenant je suis vieux, mes yeux sont ridés, voire cachés, et j'en suis bien content.

Je me penche à la fenêtre histoire d'avoir un peu envie de vomir face aux illuminations qui pendouillent sur les fils électriques rongés de pluie, en tassant de mes bras ces foutus géraniums qui sentent si mauvais au printemps et en été, mais que j'arrose quand même pour emmerder les voisins d'en face. Je m'y sallie les coudes, cette vacherie terreuse, séchée en hiver, m'injurie copieux, je donne un coup de poing que mes vieilles phalanges tachées de brun supportent mal puis branche la télé pour écouter les conneries qu'elle a à débiter ce soir concernant le nain politique et le CAC 40 ou les suicides de France Telecom (vu la clarté de leur service téléphonique, ce serait plutôt à nous de nous jetter par la fenêtre, bande de cons.)

Dans quelques jours, c'est encore noel et mon radiateur me tient froid avec sa face jaune et  écaillée dont les exalations noircissent le papier peint d'humidité. J'ai le dos tassé, les jambes cagneuses, les orteils froids et les tripes assaillies des désagréments qu'accompagnent les cheveux blancs.

Devant le plateau à roulettes qui grince comme un putois sous une calandre, je mâchonne un brocoli ou deux avant de siffler le digestif qui fait passer les cachets et les rhumatismes.

La radio du petit con fait vibrer le mur de la cuisine derrière moi mais j'essaye plus de sonner à leur porte, je met la mienne plus fort encore. Le petit enfoiré renchérit, alors je joue la carte de l'indifférence et quitte mes sonotones.

Vas-y petit puceau, c'est en faisant comme ca que tu va finir les oreilles pleines avant l'âge, comme moi qui me les suis traînées trop tôt.

Je le laisse faire.

Ca lui apprendra, à lui et ses rauquères qui gifflent et gratouillent les boyaux de chat de leur planches électriques. Ils ont vraiment rien inventé. Nous on avait ca qu'en sciant la table à manger, eux ils les trouvent dans les magasins et pleurent si ya deux cordes en trop ou en moins.

Parait que pour noel il va en avoir une. Petit con. Il a pas fini de m'emmerder avec sa chambre juste à côté du canapé.

Ca ou l'infirmière au gros cul de gélatine et ses sermons sur le digestif, je me demande ce que j'exècre le plus... Bande d'emmerdeurs va. Allez donc vous beurrer en famille pour le réveillon, sortez de cet immeuble. J'ai ma bouteille entière pour moi tout seul, moi !

Hélène n'aurait pas aimé ca.

Mais après tout elle est trop loin pour le savoir.

Le pomplard s'en était tiré lui, au moins. Avec un oeil en moins et deux dixième de la peau brûlée, certes, mais même borgne et défigurée j'en aurais bien voulu de mon Hélène...

Maintenant l'odeur du placard s'est fixée à ses robes de coton à fleurs et ses photos ont autant jauni que mes dents.

Helène, j'espère que le paradis n'existe pas. je voudrais pas que tu puisse me voir d'en haut...

16 décembre 2009

Monsieur Mellor.

"Je me suis alors retrouvé le plus pauvre et le plus riche, le plus laid et le plus beau, le plus sage et le plus inconscient. Privé d'appui sur l'Autre, Autrui, le reste de l'Espèce Humaine, j'ai brusquement réalisé que j'étais dévisagé par mon ultime solitude. J'étais désormais le dernier Homme sur Terre."

                                                                               "Without people, you are nothing..."

En hommage à une personne dont le peu que je sache m'est parvenu bien trop tard.

8 décembre 2009

Brève d'insomnie

Derrière les brumes mourantes d'un soir indéfini, à travers cette forêt de jambes mouvantes tranchées par les faisceaux lumineux, au son de la semelle dure et des muscles raidis frappent des coups répétés par salves et sacades contre les plaques malmenées de l'estrade.

C'est comme une déliciceuse tension nerveuse qui se glisserait dans votre moelle épinière après vous avoir malignement mordu le dos par zébrures ; c'est l'appel tambourinant des cordes saturées et grincantes sur le vaisseau damné qui librement flotte sur la tamise, au grès du courant noir illuminé aux projecteurs aiguisés. L'estrade flottante pourrait tout aussi bien parcourir des miles au son de la même musique, toujours les rats s'y cramponneront avec une avide violence. Les hommes (s'ils sont bien humains) culminent les eaux de marbre sombre en  répercutant la vibrante force de leurs échos, violentant leurs mains contre le métal des cordes avec une telle puissance infernale, qu'on la penserait n'existant que pour signer la venue prochaine de l'apocalypse. L'un d'eux chante tandis que tous font face aux ténèbres miroitantes, offrant à la nuit et la profondeur caverneuse et la claire fulgurance de sa voix entrecoupée du spasme de ses rictus incontrôlés, habité d'une entité de colère et de sourde langueur. 

En entendant seulement au loin ce long et douloureux appel au danger, on se crispe et s'envoûte, laissant les ondes dures de la voix nous submerger, nous élever vers l'écrasement titanesque de la puissance. Les cris des instruments déchiquètent l'air de lourdes menaces alors que toujours la jambe durcie frappe le plancher martyrisé, que de longes vociférations s'étirent à gorges déchirées vers le ciel fermé, hurlements livrés à la mort.

Londres. Londres appelle.

 

shadow

6 décembre 2009

Fire and flammes

Thierry pénétra dans la bâtiment en flammes. Au dessus de lui le toit à demi-défoncé gronda longtemps sous le ciel éclairé par les nués rougeoyantes s'élevant jusqu'à obscurcir les étoiles. A travers un pan de vide il s'élance aveuglément, protégeant son visage de son coude. La fournaise entière crépite de toutes parts aux alentours, bloquant son horizon, enfermant son regard chauffé à vif par les vapeurs toxiques s'échappant des murs cloqués de chaleur. Les escaliers gémissent vers sa droites puis s'éffondrent complètement dans un fracas d'étincelles et le monde change, il ne reconnait plus rien désormais.

Il appelle et hurle son nom dans l'enfer vide de vie et plein de rage cramoisie. Sa peau  cuit sous la lourde combinaison inifugée, la transpiration y colle ainsi qu'un linceau bouillonant. Rien dans l'air hormis la fureur des flamme et de l'incendie qui ne cesse de se propager du rez-de-chaussé jusqu'aux étages supérieurs par la rampe d'escalier de vieu bois bien sec. Il attend et tourne en rond dans la peur, les battements sourds de son coeur qui lui frappent la langue asséchée de nausée, il attend mais n'entend rien. Thierry crie à nouveau, abattant la lame de sa hache dans le bois carbonisé lorsque une porte lui bloque le passage, cherchant sans relâche un signe de vie. Elle était sûrement morte, avec la montée des gaz dans l'atmosphère de le maison, l'endroit pouvait exploser ou s'effondrer à tout moment, et lui risquait sa vie dans l'espoir d'en retrouver la dernière occupante, mais à cet instant précis le sort de celle-ci se jouait à une longue listes de suppositions hasardeuse. Si elle avait réussi à calfeutrer les ouvertures d'une pièce saine pour éviter la propagation des vapeurs toxiques, si elle s'était enroulée dans des draps humidifiés à temps, si elle avait réussi à trouver un air à peu près respirable... Sans doute avait-elle une chance de survivre, auquel cas il n'avait aucun droit de se défiler.

Soudain, un cri parmis les craquements angoissants résonne. Thierry se dirige immédiatement vers sa source, traversant un corridor parsemé de poutres abattues qu'il doit tantôt enjamber ou défoncer. Un amas de charpente enflammée l'empêche de continuer, mais derrière une mince ouverture il aperçoit une figure humaine, couverte d'une suie rehaussée de sueur, criant.

"RECULEZ"

Plusieur fois la hache s'abat entre les pans de bois, un morceau de plafond tombe derrière lui, manquant de très peu de lui emporter la colonne vertébrale, frappant de plein fouet ses talons tant et si bien qu'il chute en arrière. La hache lui échappe, s'éleve dans les airs et disparait derrière les flammes s'élevant des poutres récement tombées, l'avalant pour toujours. Thierry réalise, tout chancelant après s'être relvée, que la femme avait réussi à passer le barrage brûlant. Mais maintenant qu'il ne possédait plus la hache, impossible de briser la barrière meutrière qui encombrait le chemin de la sortie. Il protège la femme des flammes en faisant un bouclier de son corps, mais hésite une seconde devant la fournaise infernale.

Sauver ou périr.

Après un cri, il enfonce le barrage de l'épaule. la douelur est vive, il a tout le temps de sentir les flammes l'enlacer et embrasser son visage, son torse, son flanc, sa jambe et son dos. Thierry sait qu'il n'a plus beaucoup de temps avant que cela ne devienne insoutenable et qu'il ne s'effondre. Impossible de se rouler au sol, le couloir est trop étroit. Il ne lui reste plus qu'à brûler vif en défoncant tous les obstacles, en espérant que la femme puisse continuer à le suivre jusqu'à la fin de l'Achéron embrasé.

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19 novembre 2009

Novembre dans la cendre

Ceci n'est pas une histoire de mon invention, j'en ai réellement été témoin il y a de cela quelques temps. J'ai voulu vous la faire partager afin de vous rendre cette journée au moins aussi légère que ne fut la mienne après cette anecdote...

Au travers des cimes tremblantes et échevelées des peupliers des marais, je perçois les étoiles étouffées par une mince couche nuageuse. Derrière les branchages les plus clairsemés qui défilent, on peut voir au loin la pâle dilution de l'indigo à fleur de l'horizon, signe avant-coureur d'une aube froide et lente, comme si elle rechignait à sortir de son lit de terre.

Je tente tant bien que mal d'épargner la torture à mes cervicales en remuant un peu sur mon siège, sentant le rebord de la vitre s'enfoncer au dessus de ma pauvre hanche ou contre ma colonne à chaque lourd virage qu'emprunte le bus dans une accélération asthmatique, supportant tant bien que mal le cahot agaçant des suspensions trop molles et la cacophonie du moteur qui expectore de longues embardées de sur-régime violentes et brusques. Nous dépassons tous les villages en ramassant les élèves à chaque arrêt obscur.

Elle est montée avec le visage gris, s'est appuyée sur la fenêtre à mon opposée, au tout dernier rang. Je ne la connais pas, mais tous les matins je sais qu'elle se met à lire avec tranquillité à la lueur d'une lampe torche.

Pas ce matin. Ce matin elle regarde la laideur de la campagne défiler sur le bord de la route déglinguée par les passages incessants des tracteurs, boueuse et dangereusement étroite. Les voitures nous croisent à toute vitesse, la mécanique lente et grossière de l'autocar ronfle pesamment. J'essaye de dormir. J'ai mal partout, mais même si le sol est certainement plus confortable que les fauteuils, il est suffisamment sale pour que je ne m'y risque pas. Douloureusement assise dans la courbe mal étudiée du dossier qui me plie la nuque, me voûte les épaules et me coupe la circulation des jambes, je regarde derrière mon triste reflet, renonçant à m'allonger sur la longueur de la banquette étant donné la fréquence à laquelle tanguent les parois.

La campagne est atroce ce matin. On dirait un champ de bataille mis à sac par des obus. Lorsque ce n'est pas une terre grossièrement labourée et visiblement froide, c'est la boue humide et peu ragoûtante des champs de betteraves déjà verdâtres au tout petit matin. Pourtant le soleil ne daignera pas montrer sa face maladive avant trois quarts d'heure au moins, mais la moindre lueur est vampirisée par ces feuilles crasseuses et déchiquetées des racines dont la sucrerie voisine largue des effluves écœurantes de graisse terreuse à la moindre occasion, s'approvisionnant grâce aux irrespectueux camions à betteraves qui n'hésitent jamais à violer les règles fondamentales du code de la route pour remplir leur cota de livraison.

Nous entrons dans la périphérie de la ville de Reims. C'est sa partie la plus répugnante : de vagues maisons grises s'alignent tristement, ni assez délabrées pour faire ressortir ce caractère spécial et mystique qui se cultive dans un champ de ruines, ni assez propres  pour être agréables. Des tags mal orthographiés se greffent sur le crépis squameux des pignons, des poubelles un peu trop pleines stagnent sur des trottoirs sommes toutes acceptables, des magasins de produits surgelés renchérissent sur la laideur du paysage de leurs architectures carrées et des publicités affreusement bariolées dégoulinent des murs cloqués. Quelques personnes indifférentes passent dans la médiocrité du site.

Plus loin, à travers le voile d'humidité des vitres rayonnant du froid sur mon épaule, ma cuisse et mon visage, j'aperçois enfin les premiers feux de croisement qui projettent leur luminosité mouvante et vaporeuse sur le voile que j'efface d'une paume frileuse de manière à former un hublot à travers duquel j'observe la ville déjà moins agaçante. Les travaux emboutissent l'asphalte de nombres de voies, nous devons faire de sempiternels détours. La lectrice regarde toujours dehors d'un oeil certainement aussi morne que le mien.

Je reporte mon attention sur sa personne. Dans la trop faible lumière, je ne vois pas ses vêtements, uniquement son visage et ses cheveux détachés, en pétard. Discrètement je me rapproche en prenant pour prétexte la chute semi-accidentelle de mon sac dans l'allée centrale et m'installe au milieu de la dernière rangée. Le bus s'immobilise à un croisement. Derrière la fenêtre, je vois la lectrice regarder le vague sans rien voir. Un arrêt de bus de ville protège quelques inconnus du vent certes faible et peu froid, mais très humide. L'un d'eux est encapuchonné si rigoureusement qu'il semble en avoir assez et se découvre, préférant sans doute la morsure du temps que celle de son manteau. Trépignant, il tire quelques avides bouffées de ce qui semble être une cigarette d'après le point rougeoyant qui flotte au devant de sa bouche et la fumée qui s'élève de son visage. Ses vêtements et le passage fugace d'une lumière de phares sur son faciès me laissent penser qu'il avoisine les vingt-sept ans, voire plus. Ses traits sont communs, sans véritable intérêt pour des personnes matérialistes. Il est habillé de manière très simple, c'est à dire pas trop sophistiquée. L'homme s'immobilise si soudainement, de manière si comique au milieu de ses tremblements, que je comprend immédiatement que la lectrice a laissé son regard flotter sur le sien sans même s'en apercevoir, et ce n'est que lorsqu'il élève une main timide mais amicale qu'elle sort de sa torpeur, presque en sursautant.

Tous deux s'examinent en silence, ne sachant pas bien lequel serait le poisson rouge dans le bocal et lequel serait l'enfant curieux qui en tapote le verre. L'homme s'avance un peu plus près du bus, il pourrait en toucher le flanc sans avoir à faire d'effort. Le feu est long à passer au vert ici, si je me souviens bien.

Il baisse la tête de côté, tire sur sa cigarette en la maintenant entre le pouce et l'index, du côté droit de sa bouche un peu pincée. L'inconnu souffle alors un rapide baiser à travers la fumée en agitant ses doigts puis sourit, l'air visiblement enjoué, mais pas moqueur ni même impoli. Il désigne les commissures de ses propres lèvres de manière à inviter la lectrice à sourire tandis que des volutes spectrales s'échappent de ses dents brumeuses. Instinctivement elle lui répond immédiatement en adressant un hésitant signe d'adieu d'une main, l'autre étant appliquée sur la vitre.

Orange.

Le fumeur lui fait également signe, et ainsi balance inconsciemment devant lui, coincée entre ses doigts, la cigarette qui rend quelques cendres cramoisies s'éteignant petit à petit en voletant, puis le bus redémarre et nous le perdons de vue toutes deux.

La lectrice regarde encore la vitre quelques secondes, puis se tourne vers moi d'un air hébété et interrogatif.  N'ayant rien d'autre à lui répondre qu'un haussement d'épaules et une expression amusée, je la laisse un peu pantoise jusqu'à ce que l'autocar ne stationne enfin au terminus et que tous les passagers ne descendent pour rejoindre au pas de course leurs lycées respectifs.

Elle marchait d'un pas léger devant moi.

Je trouve merveilleux qu'il existe encore des gens dont le fond est peut-être assez bon pour avoir envie de rendre la journée plus douce à d'autres, tout cela avec la simple honnêteté du naturel.

17 novembre 2009

En rentrant.

Sur la feuille c'est l'arrêt de la pensée, l'écueil osseux du stylo. Pourtant j'ai faim, faim d'expliquer et comprendre ce qui m'arrive. Cela n'interesse personne à part moi certes, mais dans la rue déserte, je meurs d'envie d'attraper à bras le corps quelqu'un et lui hurler ce dont j'ai faim, comme un déporté vidé poserait le bout de ses doigts contre le grillage avant de se lancer à secouer celui-ci du peu de  forces lui restant, agrippant le barbelé à paumes fermées et tendres, frigorifiées contre les dents de métal. Il est plein de ces souvenirs qui lui échappent et que vomit sa gorge nouée à grands flots de douleurs, tremblant au milieu de la boue glacée. Il n'a pas encore terminé de vomir et de s'affaiblir, pour le moment il lui reste sa conscience pour souffrir.

Comment un vide peut-il donc peser si lourd ?

Il vente, et il vente d'une manière si douce et délectable que, marchant à légers pas tapotants sur l'asphalte cosmique et éclairé des faisceaux réels des lampadaires, j'ai mal. J'ai d'autant plus mal que ce n'est qu'un petit point de douleur au fond du coeur, minuscule, microscopique gouffre qui ne  m'a pas encore anéantie.

Même la nuit humide est caressante après cette pluie de novembre, mais quelle ineptie de n'être aimée que par la nuit qui m'inquiète pourtant et m'exalte à la fois.

Subir tout cela, cet explosif désir intangible résidant partout et nulle part (dans le manque et dans les sens, dans le monde extérieur et au plus profond du crépitement de mes nerfs) c'est cela qui me fait du mal : tant de puissance sifflant au vent que je ne puis m'empêcher d'absorber, mais qui bourdonne, ronfle, gronde et menace en moi telle une onde incontenable, incontrôlable déchaînement contre mes veines.

Cela m'épuise car je porte mon amour tel un fardeau. Un amour infondé, dérivant sans but au gré de ma lucidité, sans destinataire, sans port d'attache; mais un amour tout de même ancré derrière les côtes, ces autres écueils osseux qui sont la prison de mes douleurs. Mon amour est à la fois issu d'un sang neuf, âgé de quelques années tout au plus, et vieux de tous les désespoirs heurtés et franchis.

C'est la marque du fer rouge dans mes yeux, le bandeau de honte carbonisé, l'étau de mon pouls comprimé. Je n'ai rien à aimer.

Marchons donc seule.

4 novembre 2009

Alien née

En sortant de la salle de dépressurisation, c'est la panique totale dans son corps, le grand bordel dans sa tête. Ca y est, il se sent trahi, il n'a pas tord. Son seul regret est de n'avoir pas su s'en rendre compte avant le cataclysme.

Son corps a changé et son cerveau l'a trompé en lui faisant miroiter des mirages de masques. Ca y est, il est devenu un monstre.

Jour après jour.

Au creux de l'insouciance, le monstre se dévelloppait en lui.

Maintenant il a prit tout la place et lui gonfle la peau. Le corps est un bibendum pret à exploser.

Il a peur de lui, c'est la panique. Il se sent si laid !

Sortie de douche, c'est une horreur. Habillement, c'est un supplice. Plus rien ne va. Il a changé, il l'a trompé, le corps. Ah ! s'il pouvait se laisser mourir, s'il en avait la force et le courage au lieu de toujours céder ! Une bile immonde lui chamboule la gorge, mais il ne peut pas vomir (non, ca serait beaucoup trop simple. Longtemps il se concentre pour vomir l'horreur insidueuse, mais elle ne sort pas. C'est attaché sous la peau, sur ses membres.) Dieu qu'il est laid !

Il faut tout arracher. Un peu de sang le calmerait, l'aiderait à entacher sa vie future d'une décision inébranlable. Minéral, il se dirige vers la cuisine pour prendre un couteau. Lentement, dans les tremblements, il remonte dans sa chambre. S'il le pouvait, il serait parti courir à toutes jambes jusqu'à s'en éclater les poumons, mais tout le monde dort et il est trop poli pour s'enfuir à une heure pareille. L'alternative brille dans sa main. cette nuit il ne pourra, de toute facon, pas dormir, son visage et son corps lui sont désormais trop infects pour qu'il puisse s'enfoncer dans le sommeil et se laisser fondre sous l'abomination de sa chair.

Avance le bras hors de ta manche que je le morde. La peau inacceptable se ramolli sous son couteau. Rien !

Ca ne marche pas, la chair ne fait que se plier douloureusement. En tirant et étendant de son pouce droit cette même peau vers son coude, tout l'avant bras a le cuir tendu. Du bout de l'index il appuie la lame. A plusieurs reprises.

Il est obligé de gratter, le sang ne vient pas, la douleur est là longtemps, pas le sang.

Dès que cela commence à être un peu coupé, une vague de chaleur se disperse de la douleur. Il en profite et force autant qu'il peut.

Plus tard il laisse la plaie saigner son soûl dans la compresse qu'il a coincée sous la manche de son pull (c'est encore plus serré, plus gonflé, mais au moins il a mal, la douleur pulse et extériorise).

C'est. Bon.

N'allez pas croire qu'il se sent mieux. Maintenant l'envie de vomir se fait plus violente, mais une sensation de justice le gagne. C'est sa vengeance sur son foutu corps de merde qu'il va laisser dépérir, pour la peine.

Du moins, c'est ce qu'il se dit. Je sais pour ma part que la panique n'est que passagère, et les résolutions qu'elle entraine également.

31 octobre 2009

Pourquoi pas ?

the_clasher        Nous enterrons l’enfant un peu en arrière du camp. Sergann a longtemps creusé la terre, aussi muet que le trou dans lequel il se trouvait. Moi, je tenais l’enfant qui, au creux de son petit poids, semblait dormir faiblement. Sa tête restait tranquillement penchée en arrière par-dessus mon coude replié, et ses jambes longues et minces s’allongeaient en dehors, inertes. Il est si léger… C’est le visage lisse d’un vieillard qui garde les yeux fermés au monde.

Maintenant le sergent se retourne vers moi afin de me faire face. Il tend les bras. J’ai un violent mouvement de recul, mes bras enserrent la petite chose un instant. Je sens mon visage se crisper dans une expression de refus et mes yeux exprimer la supplication.

-                                -            Allons…

Comme si je m’éveillais par ses paroles de raison, tout mon corps se détend et je baisse le regard, refoulant cet étrange instinct qui m’a submergé sans que je m’en aperçoive réellement. Je confie aux forts bras protecteurs de Sergann ce petit paquet inanimé, ramolli. Avec tendresse il l’allonge au sol, au fond du trou, prenant bien garde à ne pas brusquer sa petite tête dure au visage décharné, cette nuque minuscule semblant prête à se briser. Le grand homme, entre ses longs doigts, joint l’une à l’autre les mains de l’enfant sur sa poitrine immobile avant de sortir me rejoindre. Debout l’un à côté de l’autre, nous regardons en silence l’enfant sans vie une minute, puis je prends une poignée de terre que je laisse tomber doucement dans l’ouverture. Le sergent met un très long moment à reboucher la tombe du petit garçon qui lentement disparaît par morceaux, au fur et à mesure des pelletées implacables. A chaque fois que la terre tombe sur son corps je frissonne, j’ai peur qu’il n’étouffe en dessous de toute cette poudre brune et grumeleuse, lourde, froide.

-          Tout petit, murmurent mes lèvres.

Il n’aura plus de faim ou de fièvre. Mais cette sensation de frémissement chaud me reste sur le corps, dans mes bras. Longtemps le petit y a tremblé, gémit faute de pouvoir parler. Il a sentit en moi, derrière l’imposture du vêtement d’arme et du voile, la femme douce, la mère protectrice. A cet instant précis je voudrais me griffer ou sauter dans une rivière glacée pour faire disparaître la sensation. Il s’est trompé sur mon compte, et pourtant d’une certaine manière il avait raison. Je ne suis pas et ne serait jamais une mère, mais je reste une femme, très jeune certes, mais une femelle tout de même en ce cas. Une fille.

Je ne peux pas contrôler l’instinct primaire qui me dictait de longuement le tenir contre moi alors qu’il soupirait. C’est ainsi.

Une douleur me traverse de part en part.

Il y a sur Terre des femmes pour souffrir la douleur des enfants, des hommes pour embrasser les femmes et tenir leurs épaules dans la chaleureuse espérance d’alléger leur fardeau. Mais ce fardeau nous l’aimons, alors peut importe la douleur nous le chérissons jusqu’au bout, jusqu’à nous épuiser en son honneur. Les hommes, sans le savoir posent en plus le poids de leur espérance sur nos épaules, et, de ce fait, sont également nos enfants. Comme il est dur de toujours être obligées de dispenser l’amour autour de nous ! Qu’il est atroce de répondre à ce meurtrissant devoir, cette pulsion de tendresse, parfois même à l’encontre de notre propre personne !

Sergann garde ma main dans la sienne. Proche, son flan effleure le mien. Je m’accroche à la main. Ce même instinct nous lie tous les deux de chagrin comme il lierait un couple dans l’affliction de la perte de leur progéniture. Quelque chose d’étrange a pris possession de moi : la vague impression de contentement perdu, de tristesse résignée. C’est ainsi. Aujourd’hui un petit être est mort avec un morceau de mon cœur, mais à sa place je sens aussi le futur qui se dessine, la chaleur d’une révolte.

Je serre plus fort. Je ne peux pas pleurer. Si je pleurais maintenant, le sergent chercherait à me réconforter, et bien que j’ai envie de me reposer un peu avec lui, je ne serais pas assez forte pour assumer ensuite cette tendresse. Trop de tendresse, j’ai peur de vomir.  Je suis en colère.

Préférant partir, je lâche brusquement la main de Sergann, troublée de cette fragile autorisation qui sans cesse se présente entre nous, de plus en plus fréquemment, par des évènements divers. A croire que le sort s’acharne à me bousiller l’esprit, jouant avec mes songes.

Je n’en peux plus de lui.

J’ai tantôt peur, tantôt envie de me rapprocher. Tout est trouble. S’il n’est toujours pas un ami officiel, il ne peut plus non plus être un ennemi, mais il m’a ravi plus que la liberté, il m’a également enlevé cette faculté de raisonnement droite qui me guidait auparavant, qui tranchait dans ma vie. Seul la justice me dirigeait, et maintenant que les sentiments prennent le pas, je suis incapable d’y trouver une quelconque rectitude.

Mes pas sous moi sont l’expression de ma colère, le sol m’est injurieux, l’air violent, vif. Tout me confronte à mes faiblesses. Le sergent m’a rattrapée et me bloque le passage.

-          Calmez vous, vous n’y pouvez rien.

-          Il n’est pas question de cela.

Sergann est si amical, si posé que je peine à ne pas tomber au sol, me laisser choir d’un coup, d’un seul, pour lui montrer mon refus, mon opposition à sa familiarité. Peu à peu nous cheminons à nouveau.

-          Je n’aime pas les enfants, vous savez, fais-je comme une confidence amère.

-          C’est impossible, tout le monde aime les enfants, c’est dans notre nature. Qui ne les aime pas n’est pas sain d’esprit.

-          Qui vous dit que je le suis ?

C’est un abattement total dans ma voix. Sans doute aurais-je dû m’abstenir de parler, j’ai des larmes qui me lacèrent la gorge à présent, mais je fais tout pour les retenir et, en protection, je remet mon voile. Il ignore ma dernière remarque et continue :

-          Si j’avais la situation et le temps, mon premier désir aurait été de fonder une famille. Vous êtes comme moi en réalité, c’est un désir auquel vous ne pouvez échapper, mais vous vous trouvez dans l’incapacité de le concrétiser, car vous avez peur.

-          Peur ?

-         

Je réfléchis un instant. Il est vrai qu’il n’y a rien de plus effrayant pour moi que des responsabilités. Si je devais m’occuper d’un enfant comme je l’ai fais durant les derniers jours, cela serait pour moi une crainte permanente, une angoisse. L’idée même de porter un enfant  m’horripile, car je n’ai pas la même idée que la normale sur la grossesse : ca n’est pas pour moi le fruit mûrissant d’un amour, mais la destruction d’un corps, une sorte de parasite. C’est certes égoïste, mais rien ne me fait plus peur. Qui plus est, mettre au monde un enfant, c’est lui créer un destin sans lui demander son avis…

-          Oui, j’ai peur. Quand on fait un enfant, on ne se préoccupe pas de ses désirs. On le confronte à un monde dont il n’aurait peut-être pas voulu, et après cela, on blâme le suicide. La vie est dure, mais on doit tout de même la vivre, avec un physique qui parfois ne nous convient pas, qui nous est lourd. Un enfant grandit et vous enlève vos buts.

-          Je ne pense pas que vous ayez raison. La vie est un cadeau, pas une pénitence.

Il me faut une longue minute pour avoir le courage de répondre :

-          Sergann, est-bien vous qui dîtes cela ?

Ma question reste en suspend, et ma voix, j’en ai conscience, a prit une intonation de douceur destinée à lui faire reconsidérer sa réponse sans trop de souffrances. Il soupire.

-          Si l’on commence à se plaindre de l’impact de la vie, alors elle n’en est que plus dure. Ma vie me convient, mais je l’avoue, elle est pénible. La dénigrer ne servirait à rien.

-          Vous vous voilez la face.

-          C’est nécessaire.

Il me sourit.

-          Et ce petit, là ! Mort  de faim ! Cela ne vous choque pas, cette injustice ?!

-          Vous venez tout juste de toucher du doigt ce qui me pousse à faire la guerre… Non, en réalité je crois que je me livre à la guerre comme… ah, c’est ridicule à dire, et cela va paraître terriblement orgueilleux, mais j’essaye de faire sacrifice de ma personne autant que cela m’est permis. Mon destin aussi a été sacrifié. Lorsque je mourrais, je n’aurais pas de descendant, mais cette injustice je préfère la subir afin de contenter au mieux les gens qui le méritent en défendant leurs droits, leurs vies et leur cause. Même s’ils ne m’aiment pas, moi et ce que pompeusement on nomme « l’armée rebelle » alors que nous ne sommes qu’une bande de crève-la-faim enragés, de va-nu-pieds hors-la-loi... Mais on essaye de se protéger de cette réalité là, de notre misère, par l’honneur que nous livre ce nom, lui aussi réel mais… autrement, ailleurs.

-          Je vous aime moi. Pour ce que vous faites, je crois bien que je vous aime. Vous n’avez pas besoin de cacher la réalité de votre situation par de beaux termes. Vos actes sont bons par leur motivation.

Il a cessé de sourire depuis longtemps, mais une lueur vacille toujours sur son visage. Je le vois baisser la tête, humblement, reprendre ma main dans la sienne. Nos doigts s’enlacent.

-          Merci, murmure-t-il.

Alors, après avoir prononcé ces mots si durs et coupables, intimidés, je me sens mieux. Allégée d’un poids terrible dont j’ai pu me débarrasser de manière détournée, je suis heureuse de le voir savourer ce qu’il mérite depuis longtemps. Personne, hormis moi, ne sais combien il a souffert juste par amour du monde et de la justice, combien son âme a dû s’entacher de méfaits au nom de l’honneur des autres et de leur bien-être. Ainsi aimé sur Terre par ma personne, il est moins insignifiant. Peut-être même que, grâce à lui, la souffrance que m’a communiqué la mort de l’enfant sera amoindrie, remplacée par autre chose… La colère, qui me poussera à changer les choses et aller de l’avant ? Je ne veux plus, en tout cas, avoir à subir la tendresse. Ce privilège m’a toujours été interdit sans que je sache pourquoi, alors je préfère ne plus souffrir en espérance et, comme Sergann, me livrer entière à une bonne cause.

9 octobre 2009

Infection

Sergann change.

De jour en jour je vois son aspect décliner.

Il mange moins. Son visage prend l’expression pâle et fantomatique de ces affamés dont le cœur se ronge de lui-même.

J’ai cru qu’il s’agissait d’un simple rhume, au début. En effet, en quoi quelques éternuements, quelques frissonnements pourraient-ils bien être mortels ?

Puis, la fièvre a dû s’installer, de toute évidence.

La toux secouait son grand corps las chaque matin, cabossant par à-coups violents la dure rocaille de sa voix qui s’interrompait subitement ; égrenant les souffles perdus, courts, qui le saisissaient alors à la gorge et l’épuisaient. Après tout cela, les sifflements sourds de ses poumons me faisaient mal rien qu’à les entendre tandis que son ample cage thoracique peinait à se remplir d’air, laborieusement appliquée à fournir à son cœur la vigueur des vents sacrés.

Je ne disais rien.

Et ce jusqu’à ce que la toux ne se fasse plus violente, plus fréquente. Plus cruelle.

Ce jour-ci, il se laissa ployer sous son propre poids, s’appuyant d’une main au pommeau de sa selle, s’effondrant presque. Sur son visage était dépeint l’égarement, la douleur. Cela ne dura qu’un instant, et lorsque je lui fis remarquer qu’il semblait mal en point ces derniers temps, il se contenta de me répondre par un grognement que cela ne me regardait pas. La journée se passa sans incident, il semblait avoir une plus grande emprise sur lui-même. J’estimais que Sergann se reprenait doucement en main après avoir fait mine d’ignorer ma remarque.

Hélas !

-          Jeune fille.

Il me faut un certain temps avant de réaliser que, dans ce tourbillon de conscience mêlant les choses du monde aux songes, la voix de mon ravisseur m’appelle.  Je me redresse. Ouvre les yeux. La nuit est si claire en comparaison aux horreurs de mon sommeil…

-          Sergann ?

-          Oui.

-          Eh bien ?

Dans le silence humide de la forêt et du chant nocturne je tend l’oreille au-delà de la fraîcheur. Un vague bruit de déglutition me parvient, après quoi je perçois sans mal celui d’un halètement tremblant.

-          Je crois que vous aviez raison. Cela ne va pas.

Je sors de ma couche, m’approche de la sienne à quatre pattes. Mes paupières clignent, mes prunelles s’effacent à la nuit pour englober sa noirceur et mieux y percevoir les silhouettes délicates et vibrantes de la réalité que les rayons de lune m’offrent alors. Voyant enfin la masse étendue du sergent qui repose au sol, je tend une main en sa direction, tâtonnant précautionneusement  le vide jusqu’à en sentir la rupture et m’y affermir. C’est son poignet. Je remonte jusqu’à l’épaule et la presse doucement dans ma paume.

-          Que se passe-t-il monsieur ?

-          C’est…

Un frémissement l’accable avant la toux brisée, Sergann avale avidement de grandes goulées d’air, se crispe, tousse une nouvelle fois, expire avec une douloureuse lenteur. Lorsqu’il reprend la parole sa voix semble plus murmurante encore :

-          J’ai si froid.

Ma main s’élève de l’épaule pour s’envoler vers son front et s’y déposer doucement. Je découvre avec angoisse qu’un voile de sueur en recouvre la chaleur mûrissante, puis glisse mes doigts jusqu’à sa jugulaire palpitante délivrant un pouls rapide mais peu, trop peu puissant. Malade comme un chien, le sergent continue de trembler et frissonner sous cette main que je ne retire plus, le sentant trop faible pour avoir envie de le laisser seul dans le noir.

-          Je vous l’avais pourtant dit. Vous voilà dans un bel état…  Vous n’êtes pas assez couvert, mangez peu consistant et buvez trop. On voit le résultat. Sergann, vous devriez songer à prendre soin de votre corps plutôt que de le soumettre sans cesse à la violence de votre esprit.

Malgré moi je sais qu’il n’y a pas que cela. J’avais déjà songé que sa puissance le calcinerait tôt ou tard ; c’est arrivé. Pour un homme si grand, les rations de nourriture journalières ne sont pas suffisantes, qui plus est encore moins pour un individu qui s’abîme le sang à ne pas dormir assez et à travailler de trop. La boisson ne doit également pas arranger les choses, car bien qu’il ne soit pas du genre à se troubler l’esprit, Sergann apprécie de se remonter le moral avec un peu d’alcool au soir, comme un pauvre hère frigorifié ferait de même pour se réchauffer…  Simplement, c’est trop fréquent.

Je le recouvre de mes propres couvertures en plus des siennes, et, voyant qu’il sombre dans les méandres d’un délire fiévreux, caresse son visage à la manière de ma mère lorsque je me trouvais dans le même état.  Tous ses muscles se délient, un soupir lui échappe et ses paupières cessent de battre tandis qu'il s'appuie dans ma main et en recherche encore le contact. Après un moment, je m’en vais quérir silencieusement le médecin, la peur au ventre. Comment vais-je faire ?

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